Romain et Clara à Buenos Aires

Fútbol para Todos

Le Superclasico entre River et Boca donne l’occasion d’évoquer une particularité argentine cocasse et significative, Fútbol para Todos.

 

Ce dimanche 28 octobre 2012 a vu le retour du Superclasico après 17 longs mois d’absence. En effet, alors que River vivait dans l’enfer de la seconde division la saison dernière, c’est tout le football argentin qui avait perdu son choc le plus intense. Jamais il n’avait été aussi attendu que ce dimanche. Heureusement, le pays tout entier a pu profiter du combat des chefs grâce à Fútbol para Todos.

 

 

 

Ce programme gouvernemental créé en 2009 a permis de nationaliser la diffusion du foot en Argentine. À l’époque, la fédération argentine de football (AFA) avait demandé une forte augmentation des droits TV pour sauver de nombreux clubs professionnels au bord de la faillite. L’ancien diffuseur, le groupe Clarin, ennemi intime du clan Kirchner, refuse de payer. Cristina ne rate pas cette occasion et fait trembler les filets : l’État rachète les droits. Fútbol para Todos est lancé en grande pompe et la présidente affirme : « Je ne veux pas d’une société qui aliène les personnes, les images ou les buts. » C’est donc grâce aux gentils milliards de pesos déboursés par les contribuables que l’on peut s’installer confortablement devant ce Superclasico.

 

 

 

Les joueurs entrent sur la pelouse dans un déluge de confettis tourbillonnants. Les hinchas* chantent à faire trembler les tribunes dans une étonnante harmonie. La chaleur a déjà fait son retour à Buenos Aires mais la température vient de monter de quelques degrés supplémentaires. 

 

 

Sur la pelouse, une silhouette longiligne capte l’attention. Le capitaine de River est un expat de plus que l’on espère croiser à la prochaine réunion des Français de Buenos Aires, David Trezeguet. Le terrain est recouvert de papelitos**, les équipes sont en place, début du match. À peine 3 minutes de jeu, coup franc tiré à peine vicieusement, gardien complètement à la rue, but de River ! Une tempête délirante s’empare des travées et les Millionarios*** exultent ! But dès le début d’un match, qu’est ce qu’on se sent forts et sereins dans ces cas là !

 

 

 

La première période se poursuit voyant River tenir à peu près la route face à une équipe de Boca très approximative. Les passes sont peu précises, hormis deux ou trois remises du Roi David, la tactique inexistante, les contrôles trop longs et la stratégie se limite à balancer devant. Ne regardant les images de National que très rarement, par erreur, en zappant sur Eurosport 2 le vendredi après-midi, je ne suis pas habitué à un niveau aussi faible. Mais l’engagement y est, tant sur le terrain que dans les tribunes. Les joueurs sont déchainés et se lancent à corps perdus dans chaque duel comme dans un dernier tango mortel.

 

 

 

La mi-temps nous dévoile le second volet de Fútbol para Todos. Aucune pub privée à part un petit spot pour le sponsor officiel du championnat. Tout un quart d’heure de propagande pour la Presidencia de la Nación et ses sbires. Vidéos hommages à Nestor Kirchner avec mise en scène en musique de Cristina et ses enfants, portés par des images de foule en délire. On ne devient pas une dynastie à la Kennedy sans rien faire ! Pubs vantant les actions géniales du gouvernement. Spot de 5 minutes expliquant le bien-fondé de la loi sur les médias et la communication durant lequel le mot democracia revient 472 fois. Louche. Puis petite vidéo de défense d’un leader syndicaliste, ancien membre du gouvernement, attaqué par Clarin pour propos racistes. Tellement racistes que je n’ose les répéter ici… Bref, vive Cristina, le gouvernement est trop top, Clarin ment, merci, gracias pour tout ce football gratuit !

 

 

 

Retour au direct. L’arbitre met le sifflet aux lèvres, tout est prêt mais… un cochon gonflable géant portant un maillot de Boca a pris ses aises avec le vent et refuse de descendre. Les supporters de River l’attrapent ! Le cochon se dégonfle et met fin à sa petite rébellion.

 


 

Deuxième période. Boca commence à sortir la tête de l’eau mais se fait assommer sur la seule action construite du match, initiée par Trezegoal. Deuxième but de River à la 70e minute ! S’ensuivent 5 minutes frissonnantes où 70.000 chanteurs font résonner leur passion dans le Monumental et dans tout Nuñez, quartier chic de la capitale. Puis penalty pour Boca, but et tout le monde retombe sur Terre. Reste 15 minutes à jouer et Boca pousse, à peu près.

 

 

 

Des bandeaux publicitaires viennent nous rappeler de ne pas manquer « 6,7,8 » l’émission politique phare de la chaîne publique durant laquelle les opposants de Madame K ont les oreilles qui sifflent.

 

 

 

La victoire semble à portée d’un River fatigué mais courageux quand, à la 93e minute, Boca égalise ! Le commentateur s’époumone : Goooooooooool ! La tribune visiteurs se fait entendre dans un Monumental écœuré. Notre voisin du dessous laisse échapper un râle de désespoir alors que des cris de joie résonnent au loin. Résultat final 2-2, plutôt logique.

 

 

 

On apprend après le match que, lors du deuxième but de River, une quinzaine de stadiers, pas très malins il faut le dire, ont laissé éclater leur joie en pleine tribune de Boca. Fallait pas chercher les barras bravas qui les ont tabassés puis balancés du haut de la tribune. L’information tarde à être relayée sur la chaîne du gouvernement. Certains diront que les barras sont alliés de Cristina et veulent éviter la mauvaise presse. Difficile de savoir la vérité. De toutes façons, les Argentins diront : « pas de mort, pas bien grave, no pasa nada. »

 

 

 

Chacun a pu profiter du Superclasico et peut retourner à son asado paisiblement dans la douce torpeur de ce dimanche ensoleillé.

 

Caligula organisait les Jeux du Cirque pour calmer la plèbe déçue. Panem et circenses (Du pain et des Jeux), une vieille tactique que Cristina semble avoir bien compris. Remarque, mieux vaut ça que de nommer son cheval consul…

 

 

 

 

 

* hinchas : supporters

 

** Confetti « maison »

 

*** Surnom de River. Le club est historiquement considéré comme étant celui des classes aisées.





29/10/2012
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