Fútbol y barras bravas
Voici enfin l’article tant attendu sur le football ! Ou du moins le premier…
En Argentine, le foot n’est pas un sport. C’est un élément à part entière de la culture du pays, de ses traditions et de ses codes sociaux. Presque une religion d’Etat.
Qui dit religion dit divinité. L’Olympe du football argentin est peuplé de nombreuses légendes mais au sommet il n’y en a qu’un : Diego Maradona. Il existe en Argentine une Iglesia Maradoniana, véritable mouvement religieux qui revendique 100 000 fidèles. Le culte est centré autour du D1OS (Dios avec un 10), a de vraies églises, des prêtres, des fêtes religieuses (dont une célébrant le match contre l’Angleterre de la Coupe du Monde 86) et des prières. Cela donne une petite idée de l’importance du football pour les argentins. Ils aiment beaucoup ça.
Cérémonie à l’Iglesia Maradoniana
Il faut dire qu’ici, ne pas s’intéresser un minimum au football reviendrait à ne pas s’intéresser un minimum à l’actualité chez nous. Ne pas pouvoir parler de football reviendrait à ne pas pouvoir parler du beau temps. Même ceux qui déclarent ne pas aimer le foot ont un club de cœur. Hommes ou femmes. Tout le monde supporte un club, de près ou de loin. Comme tout le monde a une ville natale. Car on hérite du club que l’on supporte de ses parents. Un argentin nous a d’ailleurs expliqué qu’en cas de mariage mixte, les parents doivent se mettre d’accord sur l’équipe que supportera le petit avant de choisir un prénom !
Comment un sport a-t-il pu s’enraciner au plus profond d’une société ? Pourquoi les affaires footballistiques concernent le peuple tout entier ?
Car le football est au carrefour de toutes les préoccupations argentines : politique, criminalité, monde des affaires, populisme, fierté nationale, ascension sociale, divertissement, esthétisme et décadence.
Pour mieux comprendre ce système omnipotent, commençons par les barras bravas, sujet de ce premier article. Ce sont des bandes de supporters très organisées qui depuis bien longtemps ne se contentent plus de gueuler le nom de leur équipe favorite depuis les tribunes. Ce sont en réalité des bandes criminelles très structurées qui sont liées à la mafia, la politique, le business et sont à l’origine d’une grande partie des actes criminels que subit le pays. Leurs codes sont les mêmes que n’importe quel gang : honneur, force, fierté nationale ou locale, violence et suprématie. Les barras bravas ont des avantages incroyables : gestion totale des ventes de billets pour les matchs, subventions, appuis financiers (dont certains joueurs qui paient par peur et/ou par intérêt : par exemple le soutien des tribunes peut s’acheter) et politiques, emplois fictifs, etc. Elles sont connues pour servir d’hommes de mains pour la Mafia (assez présente en Argentine, ascendance italienne oblige), pour effectuer menus larcins et grandes campagnes électorales pour les politiques et syndicalistes véreux et faire office de service de sécurité pour les clubs. Grâce à leur influence sur les quartiers pauvres, elles peuvent même garantir plusieurs milliers de voix lors d’élections locales à leurs « employeurs ». De plus, elles ont un accès direct aux joueurs, aux dirigeants et à la fédération nationale.
Les hommes forts des barras bravas, les flics pourris, les politiciens peu vertueux, les patrons louches, les gérants des clubs et les truands avérés ne sont jamais très éloignés, dans les tribunes du stade comme en ville.
Les barras bravas ont pris de l’ampleur à partir des années 50. A l’époque, quand une équipe jouait à l’extérieur, l’arbitre et les autorités locales faisaient tout leur possible pour mettre la pression sur les joueurs visiteurs comme sur leurs supporters et décrocher une victoire loin de ses terres relevait de l’exploit. Pour combattre le feu par le feu, les groupes de supporters se sont structurés, musclés et sont devenus assez intimidants pour assurer un équilibre des forces, à domicile comme à l’extérieur, et donner un peu plus « d’équité » au championnat. Devant l’efficacité de cette nouvelle pratique, les clubs se mirent à les financer et les aider matériellement. Course aux armements, quête de reconnaissance, explosion de la violence. Plus un individu est fort au sein de la hiérarchie de la barra brava, plus il peut détourner d’argent. Violence interne et externe pour arriver au top. Des gangs quoi. Selon les chiffres officiels, il y a eu en moyenne un meurtre tous les deux mois et demis entre 1957 et 2003 directement lié au football. On ne compte pas les petits boulots que font les barras bravas dans d’autres secteurs pour garder la main et arrondir les fins de mois.
Un autre aspect de l’importance du football pour la société argentine se remarque au travers des élections électorales pour la présidence d’un club. Les affiches recouvrent la ville, les candidats multiplient les promesses et les meetings, les vieux ennemis s’unissent, les slogans s’entrechoquent, une véritable campagne. Il faut dire qu’ici, être président d’un club est une charge vénérable et enviée car elle peut servir de véritable tremplin dans une carrière politique. D’ailleurs, le puissant Mauricio Macri, actuel maire de Buenos Aires et adversaire politique numero uno de Cristina n’est autre que l’ancien président de Boca Juniors. Et il est passé d’une fonction à l’autre directement. Depuis, il a soutenu un challenger pour prendre sa succession à la tête du club, lui garantissant la victoire. Macri vise la présidence de la République dans quatre ans. Donc président de Boca, maire de Buenos, président d’Argentine est une trajectoire logique pour les argentins. Je supporte à fond le PSG mais Leonardo à l’Élysée, peut-être pas…
Affiche de campagne du successeur de Macri
Bien sûr la folie et la violence qui entoure les tribunes ne concernent que quelques individus décérébrés. Ils sont juste un peu plus nombreux et beaucoup plus puissants qu’ailleurs. La grande majorité des spectateurs ne se préoccupe que de ce qui se passe sur le terrain et chaque grand match donne une ambiance festive à toute la ville. Tout s’arrête, les regards se tournent vers les téléviseurs des bars et des pizzerias et tous profitent du spectacle avec passion. Mais, sans avoir abordé l’aspect du jeu, du divertissement et du rôle économique du fútbol je vais en rester là. Je poursuivrais mes réflexions sur ce sport roi de mon cœur, comme de celui des argentins, après m’être frotté à la ferveur populaire lors d’un match à la Bombonera* (proche de l’Hôtel) ou au Monumental**. Voici cependant quelques anecdotes croustillantes sur le foot argentin et les barras bravas, pour le plaisir :
- Marcelo Bielsa (entraîneur argentin mythique surnommé El Loco) est très respecté par la Barra Brava de Newell’s Old Boys. Cette considération particulière a débutée lorsque des supporters enragés après une défaite en Copa Libertadores vinrent le chercher à son domicile et qu’il surgit de chez lui en courant, une grenade à la main !
- Dans le cas de la mort de Ulises Fernández, un supporter de Huracán tué en 1997, il y a eu 101 inculpés. Tous furent acquittés. Un fonctionnaire de justice proche de l’affaire propose une explication “Nous faisons face à un mur de silence. Ceux qui ont vraiment vu ce qu’il s’est passé, les autres supporters impliqués, les dirigeants qui connaissent les suspects… Personne ne veut rien confirmer.”
- A Boca, quand la bande de José Baritta dit El Abuelo (ancien leader de La 12, la barra brava de Boca, une des plus forte du pays) fut incarcérée, plusieurs joueurs vinrent lui rendre visite en prison.
- Qui s’occupait de la parrilla*** quand le président du Racing Daniel Lalín accueillait des dirigeants du football dans sa propriété estivale? El Tano, un membre tatoué de la barra qui avait la réputation de porter un marcel dans toute situation, été comme hiver.
- Il y a quelques années, le club d’Alvarado de Mar del Plata luttait pour accéder en deuxième division. Un jour, à Villa Marista, les joueurs s’arrêtent pour déjeuner après un match. Mais dix barrabravas débarquent et, comme l’équipe venait de perdre deux matchs consécutifs, leur confisquent leurs plats qui venaient d’être servis et leur interdisent de manger.
- Dans les années 90, on a vu des barras de Chacarita intercaler leurs voitures – vitres teintées et girophares sur le toit – entre les bagnoles des flics et ainsi, “en caravane d’amis”, arriver jusqu’à la Boca.
- Daniel Ocampo dit El Gitano est l’un des seul ancien chef de barra a avoir accordé des interviews à visage découvert. Il a même fait des apparitions dans des clips TV de campagne électorale pour l’ex-gouverneur Eduardo Duhalde. Il a notamment déclaré: “Les dirigeants nous donnaient le contrôle de la billetterie et, parfois, de l’argent. En plus des mecs de la tribune, ceux qui confortaient ma position de chef c’était les dirigeants. Par exemple, j’achetais des micros et le club les facturait le double. Comme ça, je me suis acheté une maison. Ce sont des vrais menteurs malhonnêtes ces dirigeants.”
C’est vrai qu’il peut donner des leçons…
Notre petit tour d’horizon du côté obscur des tribunes se termine. Voici quelques liens pour les profanes qui seraient intéressés par un parcours initiatique après la lecture de cet article. J
http://fr.wikipedia.org/wiki/Football_en_Argentine
http://fr.wikipedia.org/wiki/Diego_Maradona
http://fr.wikipedia.org/wiki/Coupe_du_monde_de_football_de_1986
Besos a todos et à bientôt !
* Stade de Boca
** Stade de River
*** Barbecue argentin. Pilier fondamental de la gastronomie et des relations sociales.
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